Une soirée aux chandelles ou à la bougie ?
Dans la France d’avant les Révolutions et d’avant l’électricité, plusieurs possibilités existent pour éclairer les longues soirées assombries par la disparition du Roi des astres. Déjà connus sous l’Antiquité romaine, les différents moyens d’éclairages font l’objet, aux XVIIe et XVIIIe siècles, d’un commerce particulièrement dynamique dans tout le bassin méditerranéen et d’un développement sans précédent dans le royaume de France. Parmi ces derniers, la chandelle et la bougie sont les plus prisées et accompagnent les évolutions de l’Art en général, des Arts décoratifs et de l’Architecture en particulier.
La chandelle est le fait des chandeliers, corporation considérable de fabricants. L’activité intense et les volumes consignés dans les registres illustrent un fait incontestable : la majorité de la population s’éclairent aux chandelles. Moins onéreuse que sa rivale, la bougie de cire, mais également que l’huile d’olive destinée aux lampes, la chandelle est faite de suif. Il s’agit de graisse animale fondue et récupérée chez les bouchers, additionnée de résine selon les provinces. Les chandelles plongées, formées de couches successives de suif, se distinguent des chandelles moulées. La première technique nécessite un investissement de départ assez faible mais entraîne la répétition des actions et le respect indispensable des temps de séchage entre chaque couche. Le deuxième procédé impose la création de moules en métal coûteux mais permet un gain de productivité. Les chandelles sont employées dans les lieux publics, les bâtiments secondaires et par le plus grand nombre. Parlements, bourses, marchés, auberges, ateliers, chantiers et commerces sont éclairés par des chandelles.
Dans les résidences aristocratiques, si l’on retrouve les chandelles dans les cuisines, les offices, les écuries, et toute pièce de service sans exception, ce sont bien les bougies de cire qui sont préférées pour les appartements et les pièces de réception. D’un prix d’environ trois à quatre fois supérieur à celui de la chandelle, la bougie de cire est du domaine de l’épicerie, second corps des marchands, comprenant notamment les ciriers. Les meilleures cires d’abeille proviennent de Bretagne et de Champagne pour la production française, et de l’Est du bassin méditerranéen avec Smyrne, Constantinople et Alexandrie en tête, pour les importations. Les mèches sont réalisées avec des fils de coton et de lin. Le blanchiment est une étape importante, la cire blanche étant la plus appréciée, ce qui n’est pas sans conséquence sur les temps de production. Deux techniques sont développées pour la fabrication. L’une consiste à multiplier les couches de cire manuellement à l’aide d’une cuillère après séchage. L’autre est d’origine vénitienne et consiste à tremper un long fil de Cologne enroulé entre deux bobines dans de la cire maintenue liquide, savoir-faire hautement complexe.
Deux types de supports accueillent les bougies de cire dans les intérieurs. Les supports fixes se distinguent des supports mobiles. Parmi les premiers, figurent les appliques, les lustres et les lanternes. Les appliques en bronze doré sont placées dans les salons de part et d’autre de la glace surmontant la cheminée et de son pendant à l’opposé de la pièce. Prenant appui sur des panneaux de boiserie, le reflet des flammes dans les miroirs vise à augmenter leur intensité. De même que l’or des supports est apprécié pour ses reflets aux teintes chaudes. L’on compte souvent deux bras de lumière par applique mais rarement plus de quatre. Le lustre occupe, quant à lui, le centre de la pièce, descendant directement de la rosace de gypse qui masque la poutre de chêne à laquelle celui-ci est solidement accroché. Quatre lustres plus petits sont parfois ajoutés aux angles d’un Grand Salon à l’occasion de bals ou de festivités. Si le corps du lustre est encore en bois doré durant une partie du XVIIe siècle, ce dernier est presque systématiquement en bronze doré ou argenté au XVIIIe siècle. Des pampilles de cristal de roche sont souvent ajoutées à ces derniers afin de créer des reflets supplémentaires. Enfin, les lanternes prennent place dans les vestibules, les dégagements et les galeries extérieurs, soit tout espace exposé à la circulation de l’air. Les vitres galbées intégrées à leur structure de bronze protègent les flammes des éventuels courants d’air.
Les supports mobiles comptent quant à eux les flambeaux en bronze, doré ou argenté, en argent massif, fonctionnant toujours en paire et n’accueillant, avec les bougeoirs à main, qu’une seule bougie, puis les chandeliers et candélabres, comptant respectivement trois et quatre bras, voire plus. Ces derniers sont également en bronze doré mais sont d’un format souvent plus spectaculaire, autorisant l’emploi de bronze naturel patiné en contraste avec l’or amati des motifs, polychromie très appréciée à la fin du XVIIIe siècle puis sous l’Empire et la Restauration.
Les supports fixes et mobiles forment un ensemble unitaire et complémentaire, tant du point de vue décoratif que de par leur fonction. Les premiers apportent la lumière dans la partie supérieure de la pièce, tandis que les seconds éclairent directement la table des repas, celle des jeux, mais également le bureau ou le clavecin. Dans les résidences royales et aristocratiques, les motifs ornementaux se répondent et dialoguent avec ceux des boiseries, du mobilier et des soieries, faisant de chaque pièce une œuvre d’art unique et totale. Cette cohérence est cependant réservée aux plus fortunés, car il n’est pas rare de trouver des intérieurs moins guindés, plus dépareillés, et pour autant d’un très haut niveau décoratif dans bon nombre de châteaux et hôtels particuliers. Mais il faut bien reconnaître que l’écho entre les gypseries du plafond, les ornements des panneaux de boiseries, auxquels répondent les lignes des banquettes et des fauteuils, ainsi que les bronzes dorés de la commode et des luminaires, offre un spectacle d’une incroyable authenticité, formant une scène de théâtre animée d’un ballet millimétré. Ainsi, les coquilles accrochées à des lignes chantournées comme à des rochers sur lesquels poussent des bouquets de roses sont caractéristiques du style rocaille et de la première partie du règne de Louis XV. Les motifs néoclassiques apparaissent après 1750 et donnent aux flambeaux la silhouette de colonnes au fût cannelé, de vases antiques et d’athéniennes animées de frises à la Grecque aux lignes géométriques. La feuille d’acanthe succède à la coquille. Les noms de Martincourt, Thomire et Rémond, sont au rang des stars d’une orfèvrerie pour le moins lumineuse. Sous l’empire et la Restauration, les motifs néoclassiques gagnent en pureté.
Enfin, et c’est bien là le plus étourdissant, il faut regarder l’usage de ses sources de lumière. Imaginez chaque bougie, chaque chandelle, telle une ampoule à usage unique qu’il faudrait remplacer au bout de quelques heures. Les consommations Versaillaises sont considérables. Comptez 450 à 500 bougies brûlées chaque jour dans l’appartement de Marie-Antoinette. Que dire des soirées de jeux durant lesquelles les tables de tric-trac alignées dans les salons retiennent jusqu’au petit matin des parieurs insatiables ? Que penser également des bals organisés dans la Galerie des glaces ou bien encore d’une soirée dans le théâtre de Louis XV, œuvre d’Ange-Jacques Gabriel ? Les chiffres donnent le vertige. Comptez au minimum 50 bougies par pièce occupée pour un soir ordinaire et, lors des festivités, les allumeurs de bougies travaillent à la chaîne, piochant sans compter dans les réserves. Pourvu que la lumière soit. Versailles n’est-il pas le palais aux 2300 pièces ? Ce sont là les lumières sans prix d’un faste éphémère.
Dans les résidences du roi plus qu’ailleurs, les sources de lumière reflètent la Société. Aux appartements du souverain et des membres de la famille royale, l’on affecte les bougies blanches les plus parfaites. A la salle des gardes, aux cabinets, aux théâtres de cour, la même lumière prestigieuse y prend place. Aux passages, escaliers et offices des Petits Appartements du roi, sont attribuées les bougies de cire jaune. Les autres lieux de service, les administrations et les offices reçoivent des chandelles, quand les cours et les écuries ne sont éclairées qu’avec des lampes à huile. Économie florissante pour les marchands, l’éclairage l’est aussi pour le roi, objet d’une taxation sévèrement appliquée à tout une filière.