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10.05.24

Une petite histoire du fronton

Une petite histoire du fronton

La façade d’un temple, formée de ses colonnes, de son entablement et du fronton triangulaire, se suffit à elle seule pour représenter, dans notre imaginaire, l’architecture de l’Antiquité. Il s’agit en réalité d’un système structurel très simple. Quatre alignements de colonnes formant un rectangle et reliés à leur sommet par des blocs de pierre, dessinent le plan d’un temple. Cet ensemble supporte, à l’aide de murs intérieurs, une toiture à deux pans. Le triangle isocèle étiré que forment les frontons résulte simplement du dessin des rives de toiture des petits côtés reliés à l’entablement. Les deux frontons permettent de soutenir et de protéger les extrémités de la charpente. Si le fronton a longtemps inspiré les bâtisseurs ce n’est pas seulement pour sa forme. Son tympan, colonisé dès la période grecque par un décor sculpté polychrome particulièrement riche, offre une surface décorative très prisée.

Avec une considération nouvelle pour l’Antiquité, l’architecture de la Renaissance intègre le langage classique dans ses édifices. Si le triptyque colonne-entablement-fronton n’est pas remis en question dans un premier temps, de nombreuses variations sont explorées. Frontons cintrés, brisés, en table, en trapèze curvilignes, à édicule, à rampants en ailerons à volutes, avec niche, à coquille, etc… se mettent à pousser au sommet des lucarnes, au-dessus des portes et à l’entrée des temples chrétiens. Le Maniérisme, période de grande tension, marque de ses frontons brisés à la silhouette déchiquetée la fin de la seconde Renaissance sur fond de Guerres de Religion. En témoigne l'architecture "déstructurée" de la façade sur cour du château de Charleval contemporaine de la Saint-Barthélemy dont ne subsistent que des gravures. La période Baroque se prend également de passion pour le fronton imaginant toutes les superpositions possibles avec un goût prononcé pour l’alternance des formes cintrée et triangulaire, exploration foisonnante qui n’est pas sans éviter certaines impasses décoratives.

Le Classicisme français, mouvement symbolisant une volonté de créer une identité artistique à part entière en réaction aux excès du Baroque, n’en demeure pas moins fidèle à l’héritage de l’Antiquité. La centralité et la symétrie sont ainsi de rigueur dans toutes les compositions du Grand Siècle et du début du siècle des Lumières. Cette axialité trouve dans le fronton le marqueur visuel indispensable au couronnement central de tout édifice. Pour autant, celui-ci se voit déconnecté de ses supports, les colonnes, et n’est plus, tant s’en faut, la résultante des pans de toiture. Il devient un ornement autonome à peine soutenu par un ressaut central, accueillant tantôt un décor sculpté d’armoiries ou d’allégories, tantôt un oculus. Certains bâtiments en sont parfois privés. Le château de Richelieu n’en comporte qu’au-dessus des entrées et des ouvertures, quand l’enveloppe du château de Versailles, dessinée par Jules Hardouin-Mansart quelques décennies plus tard, n’en compte aucun. Serait-ce là une volonté de démarquer un Versailles novateur d’un Louvre plus académique ?

 

 

La Rocaille de la première moitié du XVIIIe siècle marque en quelque sorte l’apogée du “fronton-ornement” tant les nombreux hôtels particuliers parisiens bâtis sous la Régence du duc d’Orléans et dans les premières années du règne de Louis XV en sont coiffés. Mais les découvertes d’Herculanum et de Pompéi dans les années 1730 viennent bousculer cet ordre établi. Les fouilles archéologiques qui s'ensuivent alimentent les réflexions des artistes et des architectes. Ces derniers remettent ainsi le fronton comme la conséquence pure et simple des deux pans de toiture et de l’entablement. Retrouvant son portique à colonne dans les programmes officiels d’envergure telles les deux ailes bordant la place de la Concorde construites par Anges-Jacques Gabriel ou bien encore les façades de l’École Militaire du même architecte, deux programmes jugés démodés dès leur achèvement, le fronton est maintenu dans un premier temps par formalisme. Cependant, il disparaît rapidement des constructions privées. Le Petit Trianon, édifié autour de 1762, puis l’Hôtel de Salm, édifié vers 1787, sont deux exemples significatifs illustrant ce renoncement.

Le début du XIXe siècle poursuit l’interprétation puriste amorcée dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les architectes tentent d’imiter au plus juste les vestiges de l’Antiquité. Certains bâtiments ne sont-ils pas construits comme des temples grecs telle l’église de la Madeleine, conçue dès 1804 comme un temple à la gloire de la Grande Armée de Napoléon Ier avant de devenir une église en 1845 ? Ou bien encore la façade du Palais Bourbon devenu Chambre des députés en 1810 ? Enfin, le fronton apparaît encore sous la Restauration et l’on imagine alors la portée symbolique de celui-ci dans une tentative échouée de réécrire dans la pierre une histoire politique meurtrie. Tombé du trône sur lequel les bâtisseurs l’avaient si longtemps hissé, à l’image de la Société d’Ancien Régime, le fronton n’en poursuit pas moins sa route à travers une architecture Second-Empire en quête de sens et parfois même à contresens. Devenant un ornement noyé parmi tant d’autres et côtoyant, comme à son avènement au XVIe siècle, des motifs gothiques et pittoresques, mais cette fois dans une version réinterprétée par Eugène Viollet-le-Duc et ses suiveurs, le fronton nous parvient comme le témoin majeur d’une architecture sans cesse questionnée, en sage observateur d’une Histoire passionnante et mouvementée.

 

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