L’art de la Gypserie
Si le plâtre entre aujourd’hui dans divers processus industriels, ce dernier compte pourtant parmi les liants les plus anciennement utilisés. Son emploi dans la construction est avéré en France avant l’Antiquité. Dans ce domaine et celui de la décoration, le plâtre s’illustre jusqu’à nos jours comme un matériau intimement lié à l’architecture.
Historiquement, le plâtre présente, à l’image du bois, de la pierre et du métal, la particularité d’entrer tant dans les travaux de structure, puisque servant de liant à des matériaux structurels, que dans les travaux de finition, car utilisé pour la création de surfaces lisses et d’ornements ouvragés. Pour autant le plâtre n’est pas un matériau structurel. Son origine est minérale puisque le gypse dont il est issu est disponible sous forme de gisements. Cette roche tendre est un sulfate bi-hydraté de calcium que l’on trouve facilement dans la nature et en France particulièrement dans le Bassin parisien. Dans le processus de fabrication du plâtre, le gypse est partiellement déshydraté par calcination puis broyé. Le tamisage assure un bon usage des différentes qualités de plâtre qui en résultent. Le plâtre de qualité grossière est réservé à divers travaux de maçonnerie. Celui de qualité moyenne peut servir d’enduit de façade. Le plâtre fin est employé pour les enduits de finition, les gypseries mais également les moulages. Enfin, le plâtre très fin permet d’affiner les détails des moulages.
L’eau entre ensuite en jeu. Elle permet au compagnon de travailler le plâtre par gâchage. En quantité proportionnée, celle-ci assure l’obtention d’une pâte plus ou moins élastique en fonction de sa destination. Si cette pâte n’est pas moulée, un support et parfois une ossature sont nécessaires. Un lattis de bois accueille en général le plâtre enduit. Le plâtre peut cependant recouvrir tous les matériaux. Le retrait de l’eau assure son durcissement et son adhérence. La distinction entre plâtre, stuc et staff tient des matières qui peuvent entrer dans la composition et des usages qui en sont faits. Ainsi le stuc-marbre, appelé Scagliola en Italie et Stuckmarmor en Allemagne, définit une technique mise au point durant la Renaissance qui imite des marbres rares. La dureté, le poli et les coloris sont admirablement reproduits. Les murs mais également les plafonds paraissent, grâce à cet artifice spectaculaire, taillés dans du marbre authentique. Le stuc à la chaux se différencie du stuc plâtrier par l’adjonction de chaux mais comporte souvent du plâtre. Le staff désigne une technique et renvoie aux décors très ouvragés.
Intéressons-nous maintenant au décor, car il s’agit bien là du clou du spectacle. Et “spectaculaire” est bien l’effet recherché. Dès le IIIe siècle après JC des décors de plâtre apparaissent en France imitant ceux des palais romains. Il s’agit surtout de corniches et de colonnes. Il ne fait aucun doute que la proximité de gisements abondants de gypse favorise l’emploi du plâtre dans la construction et le développement de techniques réservées à la décoration. Tel est le cas de la ville de Lutèce mais également de certaines cités plus proches de la Méditerranée, notamment en Provence. A partir du XIe siècle et jusqu’à la Renaissance, le plâtre s’impose dans tous les intérieurs au détriment de matériaux plus rustiques comme le torchis.
A la Renaissance l’emploi du plâtre connaît une orientation nouvelle sous l’influence de ce qui se fait dans les différentes provinces italiennes. Ce sont d’abord des bas et des hauts reliefs qui ornent les hottes des cheminées comme au château de Fontainebleau. Les décors que permet le stuc-plâtre sont d’une très grande finesse. Le matériau, lorsqu’il est issu du tamis le plus serré possible, passant au travers de la soie, peut être ciselé et représenter une grande quantité de détails. Très propice à la sculpture, le plâtre est par ailleurs choisi dans la réalisation des programmes décoratifs de nombreuses églises du XVIe siècle.
Dans la France du XVIIe siècle, le plâtre répond aux projets grandioses qui peuplent les règnes successifs. Dans un premier temps, les décors peints à grande échelle sur de hauts murs et des voûtes en berceau nécessite la réalisation d’enduits d’une grande qualité. Puis des éléments sculptés et des moulures intègrent ces grandes scènes mythologiques. En raison peut-être de sa fragilité, le plâtre occupe un espace supérieur laissant la partie inférieure au décor de marbre ou de bois. Toujours est-il que la complémentarité et la concordance sont recherchées afin de créer un ensemble homogène. Au château de Versailles, architectes et artistes travaillent de concert pour créer une œuvre totale où tous les matériaux font corps comme une seule et même entité. L’une des prouesses réalisées au château de Vaux-le-Vicomte n’est-elle pas d’avoir réuni plusieurs talents tournés vers un objectif commun, surpassant les compétences respectives de chacun ?
Cependant, les architectes de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle comme Jules Hardouin-Mansart, Robert de Cotte et Jacques Gabriel, laissent peu de dessins et autorisent aux sculpteurs ornemanistes tels les Vassé, Oppenordt, Pineau ou Toro, une grande liberté pour puiser dans leur propre grammaire ornementale. Mettons à l’honneur l’extraordinaire réalisation du palais épiscopal du prince-évêque de Rohan à Strasbourg par l’architecte Robert de Cotte. Les gypseries de ce que l’on appelle à l’époque l’appartement du Roi, occupé par le cardinal lui-même, comptent parmi les plus exceptionnelles de la Rocaille des années 1720. Dans ce début du XVIIIe siècle, les murs se parent de boiseries et le décor en plâtre s’épanouit en prolongeant ces dernières de corniches à médaillons et de coquilles dilatées sur l’aplat du plafond. La rosace marque le centre du plafond et accueille un lustre à pampilles. Germain Boffrand, architecte autant que décorateur, réalise l’un des intérieurs les plus emblématiques de ce premier XVIIIe siècle : le salon de la princesse de Rohan-Soubise dans l’Hôtel de Soubise à Paris.
Avec le regain pour l’Antiquité de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le plâtre renoue avec les décors de la Rome antique. Ainsi les feuilles d’acanthes, les palmettes, les rosettes, les denticules et les grenades se multiplient jusqu’à la fin de la Restauration. Puis le plâtre, fidèle compagnon, s’emploie au plus grandiose des décors, faisant du foyer du Palais Garnier l’un des endroits les plus prisés de la fin du Second-Empire. Après la foisonnante Belle-Époque et ses décors destinés aux industriels et aux financiers, l’Art Nouveau offre un dernier rebond aux décors ouvragés en plâtre.