Se chauffer dans la France d’Ancien Régime (XVIIe-XVIIIe siècles)
De nos jours, les différents systèmes actuels de chauffage nous apportent confort, simplicité et sécurité, qu’ils soient électriques, au fioul, à gaz où à granulés de bois. Entendez par là : un minimum d’entretien, un maximum de chaleur et un risque d’incendie limité. Même si l’air du temps est à l’économie, chacun peut décider aujourd’hui encore de la température qu’il souhaite pour son intérieur. Et pourtant chaque époque a son propre degré de confort. Avant la multiplication des sources d’énergie, il ne fait aucun mystère que la combustion du bois a pendant des millénaires constitué la seule alternative envisagée. Encore a-t-il fallu apprendre à maîtriser ce feu pour en contenir les risques. Cette maîtrise est devenue une discipline doublée d’une véritable filière, touchant architecture, décoration et commerce.
Du point de vue architectural, la cheminée définit un élément de la construction qui va du sol au faîtage et qui doit être prévu dès la construction de l’édifice. Cet ensemble comprend le manteau doté du foyer avec son encadrement et la hotte lorsqu’il en existe une ou plus généralement d’un trumeau, le conduit pris dans les murs et enfin la souche émergeant des toitures. L’intégralité du système est en maçonnerie pour limiter les risques de départ de feu dans le conduit. Un chevêtre permet à la structure bois des planchers de reporter les charges de part et d’autre du conduit. Le manteau, rarement habillé de bois, est en pierre voire en marbre. A la Renaissance et durant une grande partie du XVIIe siècle, une hotte droite, ornée d’un riche décor sculpté, surplombe le foyer. Avec l’utilisation du marbre et la réduction progressive des dimensions du foyer, cette hotte disparaît dans le mur au profit d’un trumeau, mettant ainsi le manteau de marbre en saillie. La brique reste une alliée fidèle qui répond amplement à la réduction du risque d’incendie.
Du point de vue décoratif, la cheminée est intégrée dès la conception de la future construction. Celle-ci participe au programme décoratif de chaque pièce. Le premier traité d’architecture y faisant référence date de la Renaissance. Ce point sera systématiquement repris dans les traités suivants, confirmant la place structurante réservée à la cheminée dans l’aménagement intérieur. Si durant la Renaissance et une partie du XVIIe siècle, le manteau accueille une peinture, un bas-relief sculpté ou les armoiries du maître des lieux, au XVIIIe siècle le trumeau reçoit un ensemble de glaces dont la bordure s’accorde avec le reste des panneaux de boiseries. Cet assemblage « cheminée et glace » rencontre un succès tel qu’il est encore adopté de nos jours. Aussi surprenant que cela puisse paraître, chaque pièce ne comporte pas systématiquement une cheminée jusqu’au XVIIIe siècle. Ainsi les vestibules et cages d’escalier ne sont pas chauffés sous l’Ancien Régime. D’autres espaces au volume conséquent sont dotées de cheminées peu adaptées comme c’est le cas dans la plupart des Galeries. D’autres encore n’ont aucune menuiserie et sont ouverts à tout vent. Alors, la chasse est faite aux courants d’air. Certaines pièces sont doublées de fenêtres intérieures en hiver. Des rideaux cachent celles peu jointives. Des portières camouflent les portes et des paravents aspirent à contenir la chaleur à proximité du foyer. Les murs portent en hiver des ensembles de tapisseries dans l’espoir de garder la chaleur du feu un peu plus longuement dans la chambre de compagnie.
Le poêle venu des pays nordiques et d’Allemagne fait son apparition dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle mais suscite peu d’intérêt dans les salons aristocratiques. Ce dernier est tout bonnement banni de Versailles. Si ses qualités thermiques sont pleinement reconnues, de même que son efficacité eu égard au mauvais tirage de la plupart des cheminées traditionnelles, son esthétique est décriée. D’une part, le volume qu’il représente est jugé encombrant et les matériaux qui le composent sont estimés peu nobles. La faïence, le fer, la fonte et la tôle n’arrivent pas à s’imposer face au marbre sculpté. Plus surprenant encore, la chaleur qu’il dégage est jugée sans vie et serait source de maux de tête tellement celle-ci se répand facilement… Si le spectacle qu’offre le jeu des flammes se maintient à la première place, c’est aussi parce qu’il représente un moment convivial, ce fameux « rassemblement au coin du feu », habitude qui ne saurait être bousculée par la nouveauté. Et pourtant, le poêle s’installe dans les vestibules et autres couloirs des courants d’air. Parfois même, le trouve-t-on dans la salle à manger. Mais ne nous y trompons pas, il s’agit surtout d’éviter à tout serviteur de déranger le repas en entretenant le foyer.
Le chauffage par combustion nécessite des quantités invraisemblables de bois. Celui-ci provient des forêts du centre de la France et représentent une véritable filière. Le bois noble, dit « neuf » arrive par la terre. Le bois « flotté » voyage à travers les rivières et les fleuves, mais il est moins prisé et donc moins cher. Son commerce est extrêmement réglementé car en bien de première nécessité, sa vente est largement taxée. La manne financière qu’elle représente pour le pouvoir royal est scrupuleusement contrôlée. Mais la circulation du bois de chauffage est grandement facilitée à travers la France par un édit royal afin de ne pas pénaliser la capitale, particulièrement gourmande. Les essences recherchées sont le chêne, le hêtre, le charme et l’orme, réparties en gros et menus bois. Les autres essences se vendent également mais sont réputées moins efficaces et donc rapportent moins. Le transport depuis le lieu de vente crée chaque année des embouteillages de charrettes de bois qui incommodent fortement les habitants des villes et faubourgs. Le stockage se fait essentiellement dans les sous-sols, parfois dans les étages, pour les appartements. Des meubles sont créés afin de rapprocher la consommation de la journée au plus proche du foyer. Ainsi, des coffres aux allures de boiseries ou de banquettes accueillent, avec des buffets dédiés savamment placés, la quantité nécessaire pour passer la journée noblement dans son hôtel ou sa demeure. Certains privilégiés brûlent à la ville le bois issu de leurs propriétés forestières.
La commande et la distribution du bois est le fait du maître d’hôtel. Dans une résidence royale, les foyers sont allumés avant le réveil du monarque. Dans ces dernières et dans les résidences des princes du sang, la personne la plus titrée pénétrant dans une pièce possède le privilège de s’asseoir au plus près du feu. Au château de Versailles certains appartements sont aménagés dans des endroits reculés, des combles la plupart du temps, mal isolés et peu chauffés… Qu’importe ! Le privilège de loger dans la maison du roi vaut bien quelques nuits glaciales en hiver.
