Lire l’architecture par la matière
Comment ne pas voir dans l’assemblage des matériaux transformés un à un, le savoir-faire et le quotidien des hommes de l’art et des savants théoriciens ? Regarder un mur est, pour nous, comme lire une page d’un livre. Chaque élément est un mot qui fait avancer l’histoire de la demeure. Élément après élément, cette histoire se révèle. La maison se dévoile et se conte dans son intimité. Ses bâtisseurs nous livrent leurs secrets à peine cachés. Le plus émouvant d’entre eux se situe au revers. Retournez une boiserie et vous verrez le geste du menuisier qui est venu travailler le bois de son ciseau. Soulevez une pierre lisse en apparence, et vous verrez la face arrière à peine dégrossie par le tailleur. Ces gens de métier, apprentis, compagnons ou maîtres, ont formé des édifices autant qu’ils se sont formés en les édifiants. La matière impose ses règles, il faut les accepter avec humilité et transmettre les bons outils.
En observant les façades d’un bâtiment, vous pouvez identifier tantôt un appareillage de pierres, tantôt de briques, un dimensionnement des fenêtres particulier, un type d’enduit, des bandeaux de pierres qui courent à chacun niveau, des couvertures d’ardoises ou de tuiles, des balcons de pierres ou de fer… Le dessin des ouvertures est un marqueur d’époque et lorsque cela est possible, les menuiseries bois sont un témoin précieux. Les croisées hautes à petits bois sont caractéristiques de la fin du XVIIe siècle et sont utilisées jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les évolutions techniques accompagnent et enrichissent l’évolution des modes.
Tous les indices sont sous vos yeux et les combinaisons nombreuses. L’assemblage des matériaux est varié et permet à lui seul d’évaluer la naissance de l’ouvrage. A chaque époque ses matériaux, à chaque époque leur mise en œuvre.
Lire l’architecture par l’ornementation
Que serait la matière sans la représentation qu’elle figure ? Certes la matière crée l’ouvrage et lui permet de tenir haut et droit. Mais ce n’est là qu’une partie de sa destinée. Certaines pierres sont le fondement et se cachent dans la terre. Enlevez-les et le tout s’écroule. D’autres tiennent un rôle plus avantageux, elles ornent les points stratégiques de leur beauté. Chaque époque a sa propre définition de la beauté et du bon goût. La diversité de l’ornementation étant très riche, ce sont la forme et le positionnement précis de ces ornements qui traduisent sans rougir leur appartenance en époque et en style. Prenez par exemple une coquille sculptée dans la pierre. La coquille de la Renaissance soutient des échauguettes, orne les niches et couronne les lucarnes. La coquille de la Rocaille, elle, se porte en agrafe, anime les boiseries et pare les linteaux des cheminées. La coquille des années 1930 habille, quant à elle, les papiers peints de ses nervures géométriques. Tout est affaire de mode. Même le réemploi du langage classique de l’architecture, entendez par cette expression la réintroduction d’ornements de l'architecture gréco-romaine à partir de la Renaissance, varie d’un siècle à l’autre. Les traités d’architecture posent les fondamentaux d’une utilisation pensée de l’architecture de l’Antiquité. Puis chaque œuvre apporte son interprétation et sa part de création. En cela, deux bâtiments d’une même époque sont similaires, tout en étant parfaitement singuliers.
Lire l’architecture par son ornementation permet de confirmer des hypothèses et d’affiner assez précisément une date, une époque, un style.