L'Escalier
Qu’il soit de pierre, de bois ou de fer, l’escalier permet depuis l’âge d’or des civilisations anciennes d’atteindre un niveau supérieur par le franchissement répété d’une hauteur faible. Grâce à un enchaînement de marches, la circulation verticale est une progression vers l’avant et vers le haut. De la hauteur à atteindre dépend le nombre exact de marches. L’escalier qui matérialise physiquement tant l’élévation de la construction que l’ascension de ses habitants ne cesse d’évoluer à travers les époques pour devenir un élément structurant en architecture, un terrain d’expression pour les arts décoratifs et un symbole de pouvoir.
Les escaliers droits que l’on retrouve en extérieur existaient déjà dans l’Antiquité. Les sites sacrés de la civilisation Grecque en témoignent. Le choix de site élevé pour l’édification des temples accentue, comme au pour l’Acropole, la dimension sacrée, faisant du parcours ascensionnel un préambule qui met en condition. Quelques siècles plus tard, son développement en Europe, notamment dans les palais, châteaux et hôtels, confirme sa position structurante dans toute construction, sans pour autant représenter un élément structurel. La technicité et la complexité de cet ouvrage en font une structure autonome autorisant l’exploration de formes variées. Tout d’abord l’escalier droit, évoqué précédemment, présente une forme simple largement reproduite.
La nécessité d’optimiser la construction au Moyen-Âge voit naître la forme plus élaborée de l’escalier à vis dès le XIIe siècle. La circulation verticale voit son emprise au sol réduite. Parfois même cette emprise se fait en partie voire intégralement en dehors de celle de la maison. De nombreux manoirs et logis du XVe siècle présentent une tour ronde, puis à pan coupé, engagée au centre de la façade principale. Complexe dans sa forme, l’escalier à vis n’en demeure pas moins simple dans sa mise en œuvre. Le bord extérieur des arches est soutenu par les murs périphériques, tandis que le centre fait partie intégrante de chaque marque, constituant le noyau. Ce noyau se vide progressivement et constitue un apport de lumière lorsque la Renaissance le surmonte d’une lanterne. Celle qui domine le noyau creux de l’extraordinaire exemplaire à double révolution du château de Chambord est la belle illustration. L’escalier à vis du château de Blois accolé à la façade sur cour de l’aile bâtie par François Ier présente outre son ornementation un aspect conforme aux canons du Gothique.
En revanche le spécimen du château d’Oiron est pris dans les murs de l’aile bâtie au milieu du XVIe siècle. Cette aile voit ses façades rhabillées au siècle suivant, effaçant la loggia dont l’aspect s’approchait encore, avant son pillage en 1569 par des Protestants, de celle du château d’Azay-le-Rideau. Si Oiron possède encore un escalier à vis, Azay-le-Rideau présente un modèle rampe-sur-rampe réalisé pour autour de 1520. Saviez-vous qu’un dessin de Léonard de Vinci laisse à penser que ce dernier étudiait la faisabilité d’un escalier central à base carrée à quatre révolutions ? Cette curiosité déjà présente dans une étude d’Andrea Palladio, autre architecte de la fin de la Renaissance italienne, possède la particularité de relier des appartements verticalement et non horizontalement. Le plan carré du donjon le suggère.
Au XVIIe siècle la formule rampe-sur-rampe s’impose au détriment de l’escalier à vis. Si ce dernier disparaît totalement dans sa version d’escalier d’honneur, il demeure pour les escaliers de service, souvent fait de bois. La Renaissance avait mis l’escalier à l’honneur dans ses traités d’architecture. L’avènement du Classicisme en fait de même et n’hésite pas à innover. Il n’est plus question de noyaux pleins ou creux ni de murs centraux. L’escalier se libère du support central pour s’élancer de manière aérienne. Ces volées suspendues peuvent être soutenues par des voûtes en demi-berceau. Les commanditaires de la première moitié du Grand Siècle trouvent en François Mansart un architecte idéal. Ainsi peut-on admirer ces travaux au château de Blois dans l’aile Gaston d’Orléans commencée en 1635. Le château de Maisons reprend le même dessin. Le grand-degré en fer-à-cheval bâti en 1636 au château de Fontainebleau est une tentative du Baroque en France. A Versailles, l’escalier des ambassadeurs représente un modèle majestueux très consommateur de surface au sol qui ne trouve pas d’équivalent dans le reste des réalisations du royaume. Le XVIIIe siècle conserve les principes établis par François Mansart et repris par ses suiveurs. Le XIXe siècle favorise les constructions en bois.
Du point de vue décoratif, l’escalier est envisagé dès la Renaissance comme un espace de transition. Ses murs sont habillés d’un parement de pierre qui rappelle, dans le prolongement du vestibule qui le précède, celui des façades. L’ornementation sobre arbore un langage formel et classique dont la froideur est recherchée, en contraste avec le décor des appartements et des salons. La lanterne qui descend du plafond en témoigne. Frontons sur consoles, niches accueillant des antiques ou des vases, bas-reliefs, entablements, pilastres animent et structurent les parois verticales. Des fenêtres ornées de balcons comme c’est le cas au Petit Trianon illustre cette porosité des frontières. Le plafond lui-même reçoit rarement de la couleur. Son décor présente parfois des scènes en grisaille. Le choix de la pierre et du marbre pour habiller les sols et les marches renforce la minéralité de l’ensemble. La rampe en pierre calcaire ou en marbre se fond dans ce décor. La rampe en fer forgé contraste par la vivacité de ses formes. Tantôt rythmée de balustres tantôt dégoulinante de volutes rocailleuses, elle tient à chaque fois de la prouesse technique et du chef-d’œuvre.
Privilège des palais, l’escalier met en scène la vie politique et se transforme en instrument du Pouvoir. Il dessert les appartements royaux ou princiers, toujours situés à l’étage, supériorité et confort obligent. Accéder à cet univers élevé, presque divin et pourtant rattacher au sol par quelques marches, représente une véritable ascension. L’escalier matérialise cette élévation sociale et fait figure de sésame. Mais il symbolise également l’élévation de l’âme et de l’esprit. La chapelle du château de Cheverny située au sommet du pavillon central achève ainsi le parcours vertical. Cette position centrale est fréquente dans la première moitié du XVIIe siècle et permet la distribution aisée des appartements. Elle est cependant abandonnée rapidement car brisant la dynamique de l’enfilade des salons. L’escalier perd alors son axe et, renvoyé sur les côtés, opte pour un rôle plus secondaire.