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23.04.24

Le Logis 2/2

Le Logis

L’art des jardins

Dans un objectif d'autonomie, voire d’autarcie, le logis constitue un univers résistant autant que possible aux perturbations extérieures. La recherche de beauté et l’agrément n’ont de sens que s’ils trouvent une quelconque utilité. Le jardin, tout comme l’architecture, obéit à des principes de bons sens. La sagesse et la prévoyance doivent guider tous les efforts du quotidien. Les hauts murs d’enceinte mettent en sécurité les occupants autant que les jardins vivriers. Ces derniers doivent pourvoir à la subsistance de chacun même dans des conditions plus rudes. Dans une recherche de complémentarité et un besoin de mutualisation communautaire des activités, l’organisation de ces jardins est rationalisée pour permettre une production continue, saison après saison, des vivres nécessaires aux nombreux habitants du logis. Les jardins potagers, orientés de manière à ne pas souffrir des gelées, assurent la production de légumes et de petits fruits. Plusieurs potagers sont en général nécessaires. Certains fruits issus du jardin fruitier sont séchés pour être consommés durant la période hivernale. Le jardin de simples offre, quant à lui, une diversité de plantes et de fleurs médicinales. Parfois, un jardin bouquetier permet de fleurir les cérémonies religieuses.

Enfin, le bois constitue un élément nécessaire autant qu’indispensable à la vie du logis. D’une part, la coupe par rotation fournit le bois de chauffage que réclament les puissantes cheminées des chambres et les fourneaux de la cuisine. D’autre part, les fruits secs que donnent châtaigniers, noyers et noisetiers, sont réservés pour la consommation hivernale. Chênes et ormes, sélectionnés et renouvelés, entrent dans la construction et l’entretien des bâtiments, devenant poutres, planches, linteaux, portes et manches à outils. Bien que traversé de nombreuses allées, il attire la faune et lui offre un abri, formant un terrain propice pour la chasse. La charmille, qui le borde, agrémente la promenade du seigneur et de sa famille. Toutes ses terres doivent être dimensionnées à la taille du logis, ou inversement. Ces règles sont écrites et rendent le travail soutenable autant que la rentabilité certaine si l’on s’en tient aux bonnes proportions. C’est une véritable entreprise qui doit être suivie comptablement.

Des riches heures de l’apogée aux revers du XIXe siècle

Le modèle que constitue le logis évolue, dans le fond, assez peu pendant près de trois siècles. Ayant traversé les guerres de religion, la peste et les crises, il sera repris jusqu’à la veille de la Révolution. Mais c’est bien au XVIIe siècle qu’il atteint son apogée ; et ce, parce qu’il arrive à maturité. Sous le règne de Louis XIII et au début de celui Louis XIV, les éléments défensifs antérieurs sont effacés. Ils disparaissent même totalement dans les constructions neuves. Ainsi, les fossés sont comblés, les pont-levis font place à de simples portes, et de larges fenêtres remplacent les étroites ouvertures héritées de l'ère médiévale. La partie occupée par le seigneur et sa famille gagne en noblesse. La porte d’entrée est surmontée d’un fronton triangulaire et la décoration intérieure, autrefois rustique, est enrichie de cheminées d’apparat et de peintures figuratives. De grandes tapisseries parent les murs, dont certains sont habillés de boiseries. Les grandes ouvertures aux meneaux de bois font entrer la lumière et le jardin dans la vie intérieure de l’habitation.

Le jardin lui-même change. Il intègre progressivement la mode des parterres du jardin à la française, peuplés de toutes les curiosités. Bosquets et vases donnent des allures de palais à la rusticité à peine camouflée de la maison. Les constructions nouvelles, quant à elles, déploient une architecture de plus en plus rigoureuse et ouvragée, qui intègre symétrie et centralité. La partie noble du logis, marquée par des pavillons, se détache progressivement des autres bâtiments de la cour. Ces derniers n’échappent pas aux nouveaux principes d’architecture  et adoptent également une géométrie parfaite qui met en valeur l’habitation principale. L’appellation logis n’englobe plus l’ensemble du domaine mais désigne seulement le bâtiment d’habitation du seigneur.

 

Transformés en maison de plaisance, ou bien confiés sans ambition au fermier en chef, afin de maintenir à niveau l’exploitation agricole et les revenus correspondants , les logis souffrent cependant de plusieurs maux à partir de la fin du XVIIIe siècle. Lorsqu’ils n’ont pas été pillés par la Révolution, ils sont jugés passés de mode et peu confortables. Les changements apportés par la Constitution font évoluer les rapports entre seigneurs et paysans. Au XIXe siècle, certaines familles remplacent leur logis par des constructions plus modernes. D'autres les dédient entièrement au fermage, leur préférant un château d’apparat construit à grand frais à quelques dizaines de mètres. D'autres encore deviennent même, dans certains cas, les dépendances de la nouvelle demeure plus à la mode.. C’est également le domaine dans son ensemble qui perd ses fonctions autant que sa lisibilité. Des parcs romantiques en modifient l’environnement et la nature indomptée reprend plus facilement ses droits. Fort heureusement, nombreux sont les logis qui, faute de moyens financiers vraisemblablement, sont épargnés de transformations irréversibles.

Un ensemble touchant et singulier

A travers son apparente ambivalence, à la frontière entre tradition et modernité, le logis fascine par son extraordinaire rationalité. La dualité de ses origines, de ses fonctions et de ses occupants, met en tension toute son architecture. Enlever une seule pierre ruinerait littéralement son harmonie. Déplacer un seul élément ferait disparaître aussitôt sa géniale organisation. Tout est complémentaire, tout se tient comme un véritable enchantement. Le défensif répond à l’esthétique, le rustique à l’élégant, l’utile à l’agrément, le vassal au seigneur, le végétal au minéral… Tout est question de proportion, de justesse et d’équilibre. Témoin des tumultes d’une histoire bouillonnante, le logis est un franc succès. Durable. Trois siècles en témoignent ! Il nous séduit avec sincérité. Son rôle n’est-il pas de rassurer et de ramener l'esprit à la tranquillité pour que le travail s’accomplisse ? Il défend, certes, mais il n’attaque pas. Il protège, mais il ne force pas le combat. Le logis appelle à la raison et au cœur. Même le temps qui passe est un ami. Le soleil aussi. Tous deux sont des invités plus que souhaités.

Charmeur discret et robuste à l’épreuve du temps, le logis autorise de nombreux projets. Retour aux origines pour certains, nouveaux départ pour d’autres, ses ressources et ses possibilités sont considérables. Un temps mésestimés, les logis font l’objet aujourd'hui d’un regain d’intérêt et ce depuis plusieurs années. Les propriétaires, amoureux et conscients du trésor que représente leur patrimoine, multiplient les initiatives et ouvrent leur porte avec bonheur. Certains, cependant, dorment encore patiemment dans l’attente d’un nouveau "seigneur" attentionné, qui réveillera le “genius loci”, cet esprit du lieu qui ne demande qu'à revivre.

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