Le Logis
Une naissance riche et complexe
Le Logis, habitat seigneurial, apparaît entre la fin du XVe et le début XVIe siècle. On le trouve particulièrement répandu dans les provinces meurtries par la guerre de Cent-Ans. Ainsi, le Poitou, la Saintonge, le Quercy, Le Périgord, et l’Anjou en sont peuplés. Les conflits répétés opposant la dynastie de Plantagenêt à celles des Capétiens et des Valois, de 1337 à 1453, sont suivis d’une période de grande reconstruction. Les pertes au sein des familles nobles, très présentes dans la bataille, sont considérables. C’est sur un champ de ruines que la noblesse ancienne d’épée, affaiblie, usée par les nombreux affrontements, s'allie à une noblesse issue des villes. A partir de 1453, les places fortes, qui ont maintes fois changé de camp, sont délaissées, lorsqu’elles ne sont pas démantelées. Ces gentilshommes d’origine bourgeoise se font construire des petits châteaux ou logis. Le modèle de départ se perpétue durant tout le XVIe siècle, n’intégrant que sporadiquement les principes de la Renaissance pourtant déjà très active dans toute la Vallée de la Loire.
Il faut attendre le milieu du XVIe siècle pour trouver au nom de «logis» une apparition littéraire enrichie d’une première définition. A travers Agriculture et Maison Rustique, ouvrage aux allures de traité d’architecture publié en 1554, Charles Estienne est ainsi le premier auteur à présenter en détail les caractéristiques propres au logis et à en prodiguer ses conseils pour bien les construire. Si cet ouvrage rencontre un succès considérable autant qu’inattendu, tant en France que, plus largement, en Occident, et ce, jusqu’à l’avènement des maisons de plaisance au début du XVIIIe siècle, ce n’est pas tant pour ses descriptions architecturales que pour son traitement approfondi de l’art des jardins. En effet, le logis répond d’abord à un besoin de “Nature et de nourriture”. Son édification doit prendre en considération, outre l’organisation et l’entretien des jardins vivriers, les nombreuses activités agricoles qui en font un centre alimentaire et économique dans un large rayon. Le logis est ainsi, par ses multiples facettes, l’illustration même d’une architecture harmonieuse, mesurée et proportionnée, autant qu’adaptée à ses fonctions ; en somme une subtile et charmante combinaison d’utile et d’agréable.
Vers une définition d'architecture
Quelles que soient ses proportions, le logis se caractérise de manière générale par une architecture fonctionnelle qui recherche rarement le décorum ou la représentation. Sobre dans son ornementation, celui-ci n’en demeure pas moins un ensemble d’une vivante complexité, de par les fonctions multiples qu’il concentre, et d’une étonnante simplicité dans sa forme. De l’architecture agricole, le logis reprend l’organisation des bâtiments centrée sur la cour, faisant tout autant office de basse-cour. De l’architecture militaire, il conserve les éléments défensifs, dont notamment les fossés, les hauts murs, le pont-levis ou bien encore des meurtrières et des bretèches. Enfin du château à proprement parlé, la partie seigneuriale du logis emprunte les attributs du confort et de l’art des dedans : on y observe souvent un escalier confortable en pierre, des cheminées monumentales, des fresques et des plafonds “à la française.” Charles Estienne le définit comme organisé autour d’une “ cour grande et spacieuse, qui soit bien carrée en tout sens .“ Il poursuit son descriptif en donnant à chacune de ses précisions une dimension pratique. Il justifie la place importante de la basse cour et de la ferme, ponctuant son discours de précisions de l’organisation du travail et des relations qui doivent s’y établir. Si ses recommandations ont considérablement influencé la construction et l’évolution des logis postérieurs à sa parution, elle ne reflète pas véritablement la diversité des configurations encore visibles aujourd’hui. En effet, s’il y a une habitation évolutive et pratique par nature, c’est bien le logis. A mi-chemin entre un château rural et une ferme fortifiée, celui-ci développe une architecture noble et rustique qui séduit par son ingéniosité.
Un héritage médiéval
D’une certaine manière, le logis répond autant à un besoin de nouveauté dans une période de paix, qu’à un besoin de maintenir vivante des traditions plus anciennes, héritées du Moyen-Âge. Car ce dernier ne disparaît nullement avec la prise de Constantinople en 1453, pas plus qu’il n’est remplacé par l’époque Moderne à partir de 1492 ; année marquée par les expéditions de Christophe Colomb et la découverte de l’Amérique. La porosité de l’histoire de l’humanité interdit tout clivage entre les époques. Des transitions, il en existe fort heureusement mais elles se font rarement en un jour.
C’est l’un des nombreux attraits du logis. Si son architecture emprunte des éléments caractéristiques des fortifications de l’ère médiévale, sous une forme de survivance presque symbolique, celle-ci matérialise véritablement le lien tenace qui unit le vassal à son suzerain. Malgré les mutations engagées au lendemain de la guerre de Cent-Ans, la seigneurie domine le monde rural et constitue un moteur efficace à l’exploitation des terres laissées en friches par les batailles. Le logis se dresse sur un ensemble dont il est le cœur, composé de terres et de bois contigus, propriété directe du seigneur. Le fermier et les serviteurs, dont font partie les jardiniers, travaillent les terres et aident le seigneur et sa famille, en échange de leur protection.