L’art des dedans
L’aménagement intérieur place toujours le vestibule au centre de la construction, dont l’accès se fait depuis la cour. Il ouvre directement sur le salon dominant le jardin ordonnancé, depuis lequel, le visiteur aperçoit les parterres de broderies. Avec ses murs recouverts de boiseries et sa large cheminée de marbre, ce salon constitue la pièce la plus vaste de toute la maison. La salle à manger occupe une pièce plus réduite proche du salon, toujours située du côté des communs abritant la cuisine. Une niche accueille, presque invariablement, une fontaine, introduisant l’hygiène lors des repas. Viennent ensuite les appartements des propriétaires, de part et d’autre de l’axe transversal, complétés de leurs cabinets et de leurs garde-robes. Un billard agrémente parfois cet étage. Plus rarement, s’ajoute une aile accueillant une galerie.
Au sujet de l’escalier, plusieurs configurations sont possibles. Nous en retiendrons deux, les plus courantes. Pour la première, lorsqu’il s’agit d’un escalier d’apparat, celui-ci donne généralement sur le vestibule. Ses marches sont en pierre, voire en marbre pour les plus luxueux. La rampe très ouvragée est en fer et les murs sont recouverts d’un parement de pierre. Ce riche décor invite le visiteur à se rendre au premier étage dont les appartements qu’il dessert sont d'égale importance avec ceux de l’étage noble, correspondant au rez-de-chaussée. Concernant la seconde, l’escalier peut être renvoyé d’un côté ou de l’autre de la maison voire même de chaque côté. Et dans ce cas, il est souvent en bois, conférant aux pièces du premier étage une importance secondaire.
Si les pièces de l’étage sont parfois distribuées par un couloir longitudinal, l’étage noble, lui, conserve une circulation massée autour du vestibule, maintenant une distribution des pièces en enfilade. Les inventaires suivant la Révolution nous renseignent sur le mobilier et apportent en cela un témoignage complémentaire précieux sur la destination de pièces plus discrètes. Ainsi, un clavecin vient illustrer la présence d’un salon de musique. Parfois, et bien que cela soit d’un luxe inouï pour l’époque, nous apprenons, dans une interminable citation d’objets, la présence incroyable d’une chambre de bains. Des caves sont rarement présentes, leur absence rend ainsi le jardin plus accessible à la promenade. Depuis le salon, le perron forme un véritable belvédère d’où l'on peut embrasser toute la magnificence du domaine.
Les thèmes qui animent la décoration intérieure sont ceux qui rythment les journées. La chasse, la pêche parfois, les jeux, les arts, les scènes galantes aux allures de scènes mythologiques, donnent aux panneaux de boiserie, aux dessus de portes, aux trumeaux et aux linteaux de cheminées une touchante intimité. Leurs délicates expressions nous rappellent l’insouciance et la douceur recherchées en ces lieux.
L’art des jardins
Arthur Young nous dépeint le quotidien de ces journées champêtres dans son Voyages en France en 1787, 1788 et 1789 : “la manière de vivre et les poursuites donton s’occupe approchent de ce qui se fait dans la maison de campagne d’un seigneur d’Angleterre qu’il est possible de se l’imaginer (...) on monte à cheval, on chasse, on jardine jusqu’à l’heure du dîner, qui ne commence qu’à deux heures et demie, au lieu de l’heure antique de midi ; de la musique, des échecs et les autres amusements ordinaires d’une chambre de compagnie (…) sont bien propres à faire passer le temps agréablement.”
La plupart du temps, la maison de plaisance répond à un besoin de nature, devenant l’agrément complémentaire autant qu'indispensable de l'hôtel particulier urbain. Si ce dernier concentre le tumulte des affaires et des jeux de pouvoir, la maison de plaisance est, quant à elle, un terrain de jeux pour les plaisirs, les arts et les divertissements. Parmi ces distractions, le jardin occupe une place de choix. Il doit, tout en mettant en valeur la beauté de l’architecture, agrémenter la promenade et constituer un majestueux décor pour les fêtes.
Dans cet univers idéalisé, le raffinement répond à la rusticité, l’apparat se dégage de la fonctionnalité, et les activités artistiques côtoient les intenses besognes que réclame la terre. Ainsi, s’organisent autour de la maison, les parterres de buis parfaitement taillés, le tapis de gazon bordé d’allées, les bosquets, les potagers, les vergers, les vignes et au loin les pâturages qui achèvent ce paysage de nature à l’architecture parfaitement orchestrée.
Les théâtres de verdure et les labyrinthes formés de charmes engloutissent les fortunes accumulées à la ville. Au milieu des broderies de fleurs, jaillissent des statues de pierres et des fontaines. En contrebas de la propriété, l’on aperçoit une pièce d’eau bien dessinée en travers de la perspective… C’est une barrière aquatique qui envahit l’air de son nuage de brume, une frontière entre l’imaginaire et le réel. Si la nature dominée du jardin est peuplée d’animaux surnaturels et de dieux mythologiques sagement pétrifiés, la faune sauvage au-delà du bassin est, quant à elle, sans pitié, poursuivant invariablement le rythme des saisons. Séparé par ce long canal, le visiteur se retrouve nez-à-nez avec l'animal. Un court instant, chacun fixe l’autre. De quel côté se joue la pièce ? Est-ce dans le jardin savamment mis en scène tel un décor structuré qui voit naître et disparaître intrigues et galanteries ? Ou bien est-ce la nature indomptée qui se prend au jeu et s’offre en spectacle par-delà une fosse d'orchestre remplie d’eau ? Chacun s’abstiendra d’applaudire pour ne pas troubler l’autre dans sa retraite.